L'Ère des N-Nitrosamines dans l'Industrie Pharmaceutique - Une perspective toxicologique approfondie
- Rim Kaidi
- il y a 3 jours
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Dernière mise à jour : il y a 1 jour
L'apparition inattendue d'impuretés de N-nitrosamines dans les médicaments a marqué un tournant réglementaire majeur. Ces composés, connus dans l'environnement et l'alimentation, ont forcé l'industrie pharmaceutique mondiale à revoir ses processus. Face à cette situation, une coordination internationale sans précédent a vu le jour entre les agences réglementaires mondiales, telles que la FDA (États-Unis), l'EMA (Europe), l'Anvisa (Brésil) et Health Canada, afin de comprendre l'étendue du problème et d'élaborer des stratégies d'atténuation. Cet événement a eu un impact profond sur la révision des processus de fabrication, imposant une vigilance accrue et des contrôles plus rigoureux à toutes les étapes de la production pharmaceutique, de la matière première au produit fini.
Profil Toxicologique des N-Nitrosamines
Structure et Mécanisme d'Action
Les N-nitrosamines sont caractérisées par une liaison nitroso (-N=O) à une amine (>NR₂). Leur toxicité repose sur un mécanisme de bioactivation crucial. Ce processus débute par une α-hydroxylation, principalement catalysée par les enzymes du cytochrome P450 (CYP 450). Cette étape conduit à la formation d'intermédiaires instables qui se transforment ensuite en ions diazonium réactifs. Ces ions sont fortement électrophiles et peuvent s'intercaler dans l'ADN, provoquant des dommages irréversibles.
Propriétés Mutagènes et Cancérogènes
En raison de leur capacité à altérer l'ADN, les N-nitrosamines sont considérées comme des agents mutagènes et génotoxiques. Leurs propriétés les rendent également puissamment cancérogènes. Des études approfondies ont révélé que 82% des 228 nitrosamines testées sont classées comme cancérogènes in vivo, soulignant leur dangerosité. Cette forte prévalence de la cancérogénicité justifie les mesures réglementaires strictes et la nécessité de minimiser leur présence dans les produits pharmaceutiques.
La Crise de 2018 et Son Extension
La crise des N-nitrosamines a éclaté en 2018 avec la découverte inattendue de N-nitrosodiméthylamine (NDMA) et de N-nitrosodiéthylamine (NDEA) dans des médicaments de la classe des sartans, utilisés pour traiter l'hypertension artérielle et l'insuffisance cardiaque. Cette découverte initiale a rapidement mené à une enquête approfondie qui a révélé un problème plus vaste. La contamination s'est étendue à d'autres médicaments largement prescrits, notamment la ranitidine (un antagoniste des récepteurs H2), la nizatidine (également un anti-ulcéreux) et la metformine (un traitement du diabète de type 2). La détection de ces impuretés a entraîné des rappels massifs de produits à l'échelle mondiale, révélant la nature systémique du problème et la nécessité d'une réévaluation complète des processus de fabrication et de contrôle qualité dans l'industrie pharmaceutique.
Sources de Contamination des N-Nitrosamines
La contamination des produits pharmaceutiques par les N-nitrosamines peut provenir de diverses sources et mécanismes complexes tout au long du cycle de vie du médicament. Comprendre ces sources est essentiel pour prévenir et atténuer leur formation :
Formation durant la synthèse : Réaction de nitrites avec des amines secondaires ou tertiaires (ou leurs précurseurs) dans des conditions acides ou chaudes. Des réactifs ou intermédiaires peuvent être contaminés.
Solvants contaminés : Certains solvants comme le Diméthylformamide (DMF) ou le N-Méthyl-2-pyrrolidone (NMP) peuvent se dégrader pour former des amines ou des nitrites, conduisant à la formation de N-nitrosamines.
Matériaux recyclés : L'utilisation de solvants ou de réactifs recyclés, si le processus de purification est insuffisant, peut introduire des N-nitrosamines ou leurs précurseurs.
Dégradation d'azotures : Les azides, utilisés dans certaines synthèses, peuvent se dégrader en présence de nitrites pour former des N-nitrosamines.
Excipients : Certains excipients peuvent contenir des amines tertiaires (ex: crospovidone, povidone) ou être contaminés par des nitrites, favorisant la formation in situ de N-nitrosamines dans le produit fini.
Dégradation de la substance active (SA) : La dégradation de la substance active elle-même peut générer des amines ou d'autres précurseurs de N-nitrosamines.
Matériaux de conditionnement : Les matériaux d'emballage primaire (comme certains films plastiques ou étiquettes) peuvent libérer des amines ou des nitrites qui interagissent avec le médicament.
Conditions de stockage : Des conditions de température et d'humidité élevées pendant le stockage peuvent accélérer la dégradation des composants et la formation de N-nitrosamines au fil du temps.
Cadre Réglementaire et Stratégies de Mitigation
Face à la complexité et à l'ampleur de la problématique des N-nitrosamines, les agences réglementaires ont établi un cadre d'action structuré en trois étapes clés pour l'industrie pharmaceutique :
Évaluation des Risques : La première étape consiste à identifier les risques potentiels de formation ou de contamination par les N-nitrosamines dans l'ensemble du portefeuille de produits. Cela implique une analyse minutieuse des voies de synthèse, des matières premières, des excipients, des solvants, et des conditions de fabrication et de stockage. Les fabricants doivent démontrer qu'ils ont évalué et caractérisé ces risques de manière exhaustive.
Tests de Confirmation : Suite à l'évaluation des risques, des tests analytiques robustes sont requis pour confirmer la présence ou l'absence de N-nitrosamines. Les méthodes de détection, telles que la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS), sont privilégiées pour leur sensibilité et leur spécificité, permettant de quantifier des niveaux très faibles de ces impuretés.
Contrôle et Mitigation : Si des N-nitrosamines sont détectées, ou si un risque significatif est identifié, des stratégies de contrôle et de mitigation doivent être mises en œuvre. Cela peut inclure des modifications des processus de synthèse, l'utilisation de matières premières différentes, l'optimisation des conditions de stockage, ou la mise en place de limites strictes pour les impuretés. Des groupes de travail dédiés, tels que le NISG (Nitrosamine Impurities Steering Group) et le NITWG (Nitrosamine Impurities Working Group), ont été formés pour coordonner les efforts et partager les meilleures pratiques à l'échelle mondiale.
Apports Acceptables des N-Nitrosamines
Pour protéger la santé publique, les agences réglementaires ont défini des limites d'apport quotidien acceptable (AI) pour les N-nitrosamines. Le principe fondamental derrière ces valeurs est d'assurer un risque additionnel de cancer inférieur à 1:100 000 sur une vie entière d'exposition. Pour les N-nitrosamines les plus courantes, des valeurs spécifiques ont été établies :
NDMA (N-nitrosodiméthylamine) : 96 ng/jour
NDEA (N-nitrosodiéthylamine) : 26.5 ng/jour
Pour les nouvelles nitrosamines pour lesquelles aucune donnée toxicologique spécifique n'est disponible, une approche basée sur le concept du Carcinogenic Potency Categorization Approach (CPCA) est utilisée. Cette méthode classe les nitrosamines en catégories de potentiel cancérogène (PC 1 à PC 5), avec des limites d'AI correspondantes. De plus, l'approche "Less Than Lifetime" (LTL) permet d'ajuster temporairement les limites d'exposition pour des périodes de traitement plus courtes, reconnaissant que le risque cumulé est moindre sur une durée limitée.
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